Julie Poulain & OPJ Cyganek

vivent et travaillent à Paris

Les Sons de cloche

Après avoir travaillé les formes de la relation duelle, entre complicité, tension et complémentarité, OPJ Cyganek et Julie Poulain étendent leur recherche sur la relation à l’autre à l’échelle de la communauté. Pour éprouver la façon dont se noue le lien social, ils s’intéressent aux traditions vernaculaires ou aux récits collectifs grâce auxquels un groupe se fédère et constitue une culture commune. Pour la Biennale Chemin d’art, le duo en croise deux expressions. La première, propre au territoire de Coltines, tient au patrimoine religieux de la ville, plus particulièrement à la roue à clochettes exposée dans l’Eglise Saint-Martial et Saint-Vincent, curiosité locale héritée du XVIIe siècle. La seconde relève de la culture musicale populaire, du répertoire de ces chansons plus ou moins connues de tous, des tubes de variété aux grands airs classiques. Toutes deux articulées à la question du son, ces pratiques culturelles mettent en jeu des processus d’identification transversaux, potentiellement associés à des formes de rites et de célébrations.

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Au croisement du sacré et du profane, du patrimoine et de l’art populaire, l’installation sonore pensée par le duo dessine un parcours entre treize cloches, activées spontanément ou à l’occasion de rendez-vous. Elles sonnent de façon aléatoire ou au contraire orchestrée, à la manière d’un concert spatialisé, dans lequel chaque participant est un potentiel musicien. Chacune d’elle est ornée d’un ruban de couleur sur lequel est inscrit le titre d’une chanson, l’ensemble constituant une playlist disséminée à travers le village. Partis à la rencontre des habitants de Coltines, OPJ Cyganek et Julie Poulain se sont entretenus avec certains d’entre eux pour faire émerger une idée de ce qui les relie comme de ce qui les singularise. Chaque conversation préliminaire a ainsi donné lieu à la sélection d’une chanson, dont le choix revient à la personne interrogée en fonction de la charge affective ou du sens qu’il revêt pour elle. Mis bout à bout par les deux artistes selon un ordre choisi, les treize titres composent un poème ou déploient une narration qui se dévoile au cours de la déambulation. Pétri des mémoires de chacun, il porte la voix commune de ces habitants dont il dresse, en creux, un portrait-haïku.

L’activation de cette « signalétique sonore, poétique et rituelle » selon leur propre définition suppose la participation active des passants — habitants, randonneurs occasionnels ou public de la Biennale — invités à faire sonner les cloches. Ce geste leur est inspiré par celui qu’OPJ Cyganek et Julie Poulain ont pu observer au Japon, à l’entrée des temples Shinto, réalisés par les croyants en signe de recueillement ou en guise de vœu. Ramené à un rituel plus trivial, ne comptant pas moins sur l’aura de l’objet, la sonnerie apparaît avant tout comme une manière de manifester sa présence en rompant le silence environnant. Cette effraction sonore représente alors un moyen d’être à la fois avec et contre l’autre, sollicitant son attention tout en prenant le risque de le gêner. En deuxième lecture, le dispositif peut revêtir un aspect plus symbolique, en agissant comme un stimulant pour la mémoire. Que l’on connaisse ou non la référence musicale, chaque titre donné à lire suffit à évoquer des souvenirs partageables par tous (une histoire amoureuse ou une rupture, un moment de mélancolie ou d’euphorie). Par-delà cet aspect fédérateur, le dispositif permet enfin une appropriation plus personnelle (à l’image des sons des cloches eux aussi particularisés), chaque message de chanson se prêtant à projections fantasmatiques. Associée à cette musicalité solennelle, la lecture intime ouvre alors sur un moment contemplatif, propre à méditation, comparable à celui d’une prière ou au temps de récitation d’un mantra. Au son des cloches, un simple intervalle suffit pour que les mémoires résonnent et que les écoutes communient.

Florian Gaité