Son oeuvre à
Saint-Flour
Nadir
Un texte de Marie Canet
« Les matières premières que Stéphanie Cherpin utilise, au-delà de leur statut de marchandises, sont issues de la culture industrielle (rebuts, matériaux de construction) trouvées généralement dans les périphéries des centres urbains, terrain de chasse de prédilection de l’artiste. Dans un entretien accordé à Paul Bernard, elle évoquait ainsi sa relation quasi animiste à la matière et aux objets qu’elle emploie et auxquels elle reconnait des qualités et des identités propres. Ces dernières sont testées, endurées, éprouvées, dans l’atelier, au moment de la fabrication de l’oeuvre. Le processus ressemble à une sorte de rituel, chaque production prenant d’ailleurs corps au rythme d’une chanson qui sera dès lors non seulement le titre de la pièce mais aussi de leitmotiv de son érection. »
Le principe est celui de la réciprocité et d’une forme d’empathie entre la matière et le geste, l’écriture du geste et son inscription dans la matière – d’où l’intérêt de Stéphanie Cherpin pour les cultures indigènes construites sur un rapport de coexistence avec les choses du monde : « (…) par exemple, explique-t-elle, une tunique de chasseur sur laquelle sont cousus des morceaux de proies (peau, poils…) et qui témoigne d’une façon de se présenter humblement face à l’animal qui va faire don de sa vie, de s’imprégner de son esprit et de son corps. Cela instaure un rapport d’égalité. Et il y a également cette idée de prélèvement direct dans le réel. C’est un peu la même chose lorsque je travaille, j’essaie d’être sur un pied d’égalité avec
mes pièces et il s’installe finalement une sorte de mimétisme physique et psychique. »
Nadir, un terme arabe qui en astronomie renvoie à la position du soleil à minuit, est une pièce murale (*ici le titre fait exception à la règle des chansons), à la fois un bas-relief de béton, une excroissance et une ouverture directement à l’histoire des recluses de St Flour, ces femmes (parfois des hommes), qui se faisaient enfermer aux avant-postes de la ville dans une cellule sommaire.
Elles y vivaient – jusqu’à la mort – de la charité des habitants qui communiquaient avec elle par le biais d’une petite ouverture. Elles priaient pour le salut de la ville o rant ainsi le sacrifice de leur vie en échange d’une protection surnaturelle contre les envahisseurs et les intempéries. La référence est ici doublée aux antipodes car l’oeuvre renvoie également à la tradition des masques Hopi, auxquels Cherpin emprunte l’esthétique et la puissance.
Utilisés lors de cérémonie, ils permettent aux danseurs qui les portent d’incarner l’esprit protecteur auquel ils font référence. Les murs de la cellule comme la surface du masque sont des architectures de communication perméables d’où sortent le chant et la plainte de celui, qui sans visage, les porte.
Marie Canet
Mai 2014