Samuel Richardot

Vit et travaille dans le Cantal et à Paris.

Prison – Saint-Flour

Samuel Richardot développe depuis une quinzaine d’années une peinture non-figurative en poursuivant l’aventure du tableau, ce qui la destine le plus souvent au cadre traditionnel de l’espace d’exposition, soit un environnement de murs blancs. Son intervention dans les vestiges de l’ancienne prison de Saint-Flour est non seulement l’occasion de faire apparaître sa peinture là où on ne l’attendait pas, mais de faire entrer le décor dans le champ de vision et d’intégrer à l’oeuvre l’architecture qui la met en vue. Cette dernière expose le travail de l’artiste mais est plus propice encore à mettre en scène son exposition, profitant des contraintes du site pour donner tout son sens au terme.

Lire la suite

Ainsi, l’oeuvre est-elle exposée aux regards des visiteur.eus.s, rendus presque voyeurs par la nécessité de se faufiler entre les barreaux ou à travers une fente dans la muraille. Dans une moindre mesure, elle est aussi exposée aux intempéries, la toiture écroulée laissant le bâtiment à l’air libre et la végétation coloniser ce qu’il reste de la charpente abandonnée sur le sol. Cela suffirait pour brosser, à rebours du white cube, le décor d’une fiction empreinte d’un imaginaire gothique, d’où pourraient surgir des fantômes trainant chaines et boulets. Ces récits sont absents des peintures de Samuel Richardot, comme en est absente toute référence directe au paysage ou au temps qui passe. Au contraire, elles affirment le présent de la rencontre du regard avec les surfaces peintes et les constituantes de la composition abstraite, agencements de gestes canalisés, de signes muets, de motifs mécaniquement répétés, de courbes modélisées. Aussi, ses peintures semblent-elles davantage reliées à un univers technologique qu’à l’environnement naturel avec lequel l’artiste entretien un lien très fort, lui qui a décidé de mener son existence dans les monts d’Auvergne. Si la peinture tient à distance le réel et les passions du peintre, effacent ou brouillent volontairement la lecture du processus créatif, certaines réalisations présentées en aparté des tableaux redistribuent ces informations en recomposant un hors champ à la manière d’un paysage. L’assemblage installé dans l’enceinte de la prison se rattache à cette famille d’oeuvres. Il ne s’agit pas de livrer des explications sur la peinture en dévoilant ses sources cachées ; la proposition pour la biennale de Saint-Flour conserve d’ailleurs la saveur de l’énigme qui s’accorde bien avec les connotations sulfureuses du décor – à ce titre, notons que le dispositif n’est pas sans référence à Étant-donnés : 1) la chute d’eau 2) le gaz d’éclairage (1946-1966), coup de théâtre post-mortem de Marcel Duchamp qui a laissé ses interprètes dans la tourmente. Là où les peintures procèdent par synthèse et superposition, ce type de plan, souvent présenté à l’horizontale dans les expositions de Samuel Richardot, semble répondre à un principe d’analogie et déployer un matériel de travail dont une partie est récoltée dans l’atelier. Aussi, il arrive d’y reconnaître des spécimens d’un vocabulaire formel propre à l’artiste, ou encore leurs contre-formes dans le dessin d’un pochoir qui a servi ou servira sur une toile. Certains de ces éléments sont périphériques aux peintures mais sont au centre du travail quotidien de l’artiste, comme les photographies prises lors de balades dans la campagne ou encore dans l’atelier et qui capturent « des épiphanies du quotidien ». Ces figures plus ou moins surnaturelles, apparues accidentellement dans les reflets de l’eau ou la silhouette d’un rocher pourront remonter à la surface de dessins dont l’artiste s’entoure comme de petits fétiches. Ainsi de ces fusées, grilles, corsets, tâches fantomatiques qui, là encore, soulignent non sans humour le potentiel du site à convier un imaginaire gothique à tendance sado-maso tel qu’il s’est dilué dans la culture de masse depuis les années 1990. Si l’artiste est un enfant du pays, il convient aussi de rappeler qu’à l’exemple de sa génération, il a grandi dans les jeux vidéo. Et cette appréhension de l’espace simulé, ses enjeux belliqueux et stratégiques, ont eu presque autant d’influence que l’arpentage du paysage ou que sa fascination pour les cartes d’état major. De même, l’artiste qui passe la moitié de son temps à cultiver la terre voyage presque quotidiennement à la surface de la planète via google earth. Cet aller retour entre différents points de vue, et entre des espaces naturels et virtuels – sans compter celui du tableau – y serait pour quelque chose dans le deuxième geste qu’opère l’artiste dans la prison : à la nuit tombée, elle se meut en une sorte de chaudron lumineux. En effet, l’incandescence de la prison, si elle participe à attiser les fantasmagories évoquées plus haut, retourne sciemment le point de vue, en faisant de l’édifice un signal adressé à la ville basse depuis laquelle elle se détache de l’obscurité tel un phare, alors même que le projet de réhabilitation de la place d’armes prévoit d’aménager ici un belvédère (d’où le regard se portera dans l’autre direction). L’artiste boucle ainsi la théâtralisation du regard – tour à tour scrutant, apercevant, vers l’intérieur, depuis l’extérieur – et cela sur des ruines qu’il rend visibles en l’état, c’est à dire dans leur état de délabrement, quand elles ont déjà disparu sur les visualisations axonométriques qui présentent le futur aspect de la ville.

Julie Portier