Son oeuvre à
Saint-Flour
Remuer les « corps », déplacer la pensée.
Passer de l’objet à la sculpture, puis à sa mise en jeu par la performance, est caractéristique de la démarche plastique de Rémi Uchéda. Au-delà de sa vie propre, la sculpture est éprouvée pour mettre l’imagination au travail, solliciter notre capacité à sentir au-delà du présent instrumental. C’est à la fois une modification et une action qui opère, d’où l’usage courant de termes précédés du préfixe re- comme refaire, réactiver, reposer… Ils expriment tant le changement d’orientation – le rebond, que le retour au point de départ – sous un autre jour.
Les objets industriels, quotidiens choisis puis remaniés quittent leur fonctionnalité première, sans que celle-ci soit gommée. Aussi, les oeuvres sont souvent des entre-deux ; une lecture encore possible de leur origine utilitaire, tendue
vers un ailleurs autant réflexif qu’esthétique. Le tangible n’est pas biffé sinon transformé dans une forme d’empêchement. Il n’est pas conçu telle une entrave mais bien comme une ouverture en terme de regard et de dynamique. Il importe de bousculer, précipiter ce réel dans un autre registre, par l’entremise
des corps agissants. Pour la biennale de Saint-Flour, Rémi Uchéda explore cette double dimension, en relation à la nature du territoire et au caractère public, extérieur des lieux investis. Les phénomènes révélés par les éléments (lumière, soleil, vent, pluie) et par le son en constituent le ressort. Une grande structure arborescente munie de cymbales fait signal par sa présence. Elle appelle à entrer en résonance avec son environnement proche. Sa mise en action tient aux passants qui s’en saisissent, mais aussi aux conditions météorologiques ; touchers, manipulations, heurts, scintillements ou encore halos produisent une palette de vibrations sonores et visuelles. Le timbre particulier de l’imposante ossature se répand alors, au hasard des rencontres et mises en mouvement, comme une alerte mentale, un écho à réflexion(s).
Dans la cour du Conservatoire est installé un andaineur à roues-rateaux « soleils », machine agricole pour disposer les fourrages en ligne. Pour l’artiste qui la transforme, l’amener en ville permet de faire retour sur son sens étymologique : la mesure du corps. Son nom vient en effet du latin andainus signifiant « enjambée, pas » et désigne par la suite les andains, amas d’herbes fauchées mis en rangs (1). Munis de larges feuilles de laiton en demi-cercle, deux performeurs en font une structure praticable ; ils s’y faufilent, l’éprouvent, tournent les roues dentelées, jouent avec l’éclat lumineux des supports mobiles. Les corps au travail assurent le passage de l’outil agraire à celui de l’esprit. Ils agissent, au propre comme au figuré, tels des réflecteurs destinés à troubler le regard, mettre nos sens aux aguets, moissonner nos pensées pour les aligner, les ranger autrement… Ainsi, avec l’activation de ces objets devenus sculpture, Rémi Uchéda nous propose d’effleurer quelque chose qui n’est plus de l’ordre du matériel immédiat. Par l’expérience et le langage des « corps », physiques ou imaginés, il suscite et stimule une mise en marche de la pensée, déliée et agile, prête à « danser » d’autres possibles.
Gunther Ludwig
(1) CNRTL, étymologie de « andain », https://www.cnrtl.fr/etymologie/andain/substantif