Maxime Bersweiler

Vit et travaille à Paris

La montagne magique.
La fabrique du paysage de Maxime Bersweiler

Maxime Bersweiler (né en 1989 à Saint-Avold en Moselle, vit et travaille à Paris) compose ses paysages photographiques comme on les lui raconte. Chacune de ses images nait de la rencontre avec un territoire, ses habitants et les récits qu’ils en font, ceux légendaires, collectifs, mais aussi ceux intimes, uniques, propre à chaque individu telle l’historiette que l’on se remémore lorsqu’est prononcé le nom d’un lieu-dit familier, un sentier ou un ruisseau. Le photographe invite à la discussion, scrute la parole, attend les anecdotes qui feront le sujet. L’oralité a la temporalité du présent. L’immédiateté du langage parlé suppose ainsi la vérité. Ce n’est pas un hasard si, dans la Grèce antique, le philosophe Socrate pratique une prose orale, l’apparente spontanéité de la parole conférant à son discours l’improvisation nécessaire à une pensée en train de se faire. « La vérité s’éprouve dans l’immédiateté sans apprêt du dialogue, dans la présence sans façons du maître. » Ainsi, chaque récit oral d’un même événement est une variante du précédent, tout en étant pourtant inscrite dans la réalité du moment où elle est dite. Il n’y a pas de vérité objective. Ce n’est qu’après, dans un second temps, que l’artiste convoque la littérature, cherchant à retrouver chez d’autres auteurs ayant traversé physiquement le même espace géographique les sensations éprouvées lors de l’expérience de terrain. Les paysages fictionnels sont la somme de ces rencontres, de ces déambulations, de ces lectures, l’agglomération des petites histoires qui racontent celle d’un territoire, son paysage mental en quelque sorte. Une image prise de l’intérieur.

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Chez Maxime Bersweiler, le choix de la photographie comme médium de prédilection ne semble pas anodin, tant il est synonyme, à la fin du XIXème siècle et durant quasiment tout le XXème siècle, de véracité, d’abord scientifique : les planches photographiques du britannique Eadweard Muybridge, révélèrent l’enchainement des mouvements du corps, animal et humain, auparavant invisibles à l’œil nu, en les découpant en de multiples clichés pris par autant d’appareils déclenchés à quelques secondes d’intervalle. L’image comme preuve irréfutable du fait, emplit au siècle suivant les archives de la police et des tribunaux de justice. Les « exposures » de la photographe allemande contemporaine Barbara Probst utilisent, comme les planches de Muybridge cent trente ans plus tôt, plusieurs appareils à déclencheurs automatiques qu’elle place, non pas en ligne, mais tout autour d’une même scène, pour en montrer les contradictions visuelles et ainsi attester de la subjectivité des images.

De sa formation initiale en arts appliqués à l’Ecole Estienne à Paris, Maxime Bersweiler conserve le goût pour le graphisme et la composition. Diplômé en 2014 de l’Ecole nationale d’arts de Paris-Cergy, il construit justement son mémoire de fin d’études sur le livre d’artiste considéré comme système alternatif à l’exposition. Il revendique aujourd’hui deux activités professionnelles qui se sont imposées naturellement à lui : le photographe est aussi designer graphique. Si elles sont exercées séparément, indépendamment l’une de l’autre, elles se croisent, se renforcent mutuellement.
Le paysage fictionnel que compose dans ses tirages Maxime Bersweiler prend la forme de la montagne. Celle-ci revient obsessionnellement dans son travail, le fascine, au point d’en être aujourd’hui l’unique sujet, à chaque fois recomposé. La grande picturalité des images, dans lesquelles la couleur et la lumière sont savamment orchestrées afin de trouver l’accord parfait qui en définira la dramaturgie, inscrit ces séries photographiques dans la tradition historique de la peinture de paysage, plus particulièrement de la représentation de la montagne, masse rocheuse accidentée à la cime escarpée ou vallée en pente douce couverte de pâturages et de forêts, dont il faut en capter le volume. Certaines images aux cadrages resserrés créent des motifs fermés, forestier ou composant des routes enlacées, qui reviennent à intervalles réguliers. Elles sont autant de ponctuations nécessaires au regardeur pour reprendre son souffle face à l’immensité vertigineuse de la nature qui, parce qu’immuable, révèle aussi notre précarité humaine. Elle crée le malaise, la suffocation en rendant tangible la mort, étourdissant les corps de son évidence même. C’est l’« Unheimliche » freudienne, cette « inquiétante étrangeté » définie par le psychanalyste autrichien dans son essai publié dans la revue Imago de novembre 1919. Un état de sidération dont l’origine est enfouie au plus profond de notre inconscient, dans notre condition de nouveau-né, dont la survie est dépendante de la main qui le nourrit. Le ressenti inconscient de notre possible disparation provoque cet effet de vertige engloutissant face à un paysage de montagne âgé de plusieurs dizaines de millions d’années. Il saisit le corps, déclenche cet effroi soudain et incontrôlable, presque animal. L’artiste capte dans sa construction photographique des éléments supplémentaires qui viennent renforcer une narration du merveilleux, un idéal mystique, C’est la brume qui auréole d’un manteau translucide les sommets des massifs montagneux dans la série au titre explicite « Quelque chose menace », l’intense lumière qui illumine tel un halo sacré quelques parcelles d’un flanc de montagne. L’image devient mystique, invite au silence. Le calme est ici inquiétant, la beauté saisissante, comme dans les paysages photographiques de Véronique Ellena, desquels se dégagent cet « étrange familier », ce sentiment d’« Unheimliche » qui, avant Freud, traversait déjà toute la littérature allemande, en particulier, romantique. Lorsqu’on songe à la peinture de Caspar David Friedrich (1774 – 1840), « Le voyageur au-dessus de la mer de nuages » (vers 1817, Kunsthalle Hambourg), on imagine aisément le personnage frappé dans sa contemplation par le même sentiment de stupeur face à l’infini, à l’éternité du monde qui se dessine sous le voile d’un ciel de nuages. Suggérer l’indicible, rendre visible l’invisible. En Occident, l’idée platonicienne de l’image comme illusion, donc condamnable, trouve une réponse chrétienne, comme le rappelle la philosophe Marie-Josée Mondzain : « la Passion devint le récit qui raconta comment l’image invisible est devenue visible, comment l’image déchue a été sauvée, comment le sacrifice d’un corps a contribué à l’avènement de la chair rédimée ». Chez Maxime Bersweiler, la présence humaine est surlignée par son absence. « Ce dont l’artiste nous livre l’accès, c’est la place de ce qui ne saurait se voir » disait Jacques Lacan. La sérigraphie « Les horizons », illustre peut-être le mieux les paysages imaginés par Maxime Bersweiler à partir d’un territoire existant, ici l’Aubrac. Ils renversent la montagne, en capturent l’image de l’intérieur pour mieux en saisir l’essence. De l’autre côté du miroir, se trouve l’autre continent.