De la tourbière aux abreuvoirs

Février 2020.

Marjolaine Turpin visite la narse de Pierrefitte, tourbière aux alentours de Talizat. Elle reste au loin et s’imprègne du paysage sans vraiment savoir encore ce qu’elle cherche. C’est une froide journée d’hiver, d’un ciel laiteux et lumineux. Des oiseaux chantent. Elle les cherche mais ne les voit pas.

Marjolaine, du vieux français majorane, l’origan des jardins.

À l’auberge de Talizat, on lui relate l’historique des lentilles blondes. Ailleurs, dans une ambiance enfumée, c’est le passé de la tourbière qui émerge, dans ses différentes vies, ses différents états. Et les lentilles reviennent, d’une autre catégorie, les aquatiques. Des plantes flottantes. Des résistantes.

La marjolaine est aussi une plante vivace, elle est notamment utilisée pour ses vertus stimulantes.

En allant se promener, elle remarque l’église Saint-Lambert et ses vitraux. Certains sont plus modernes que d’autres, ça l’interpelle. Elle aimerait la visiter mais la gardienne des clés est injoignable.

Retour à Clermont-Ferrand.

Une année plus tard, jour pour jour, elle revisite la tourbière. Même fraîcheur, dans un ciel bleu azur, mêmes chants d’oiseaux, qu’elle ne voit toujours pas. Elle se rapproche un peu plus, sans aller jusqu’à l’eau, pour ne pas retourner la tourbe, pour ne pas la déranger dans son travail.

Elle aperçoit un début de formation de lentilles d’eau.

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Elle photographie des tracés sinueux creusés dans le sol, des lignes dessinées par la végétation, des formes abstraites accumulées par la mousse. Des lichens, des roseaux, diverses pousses.

La marjolaine est une plante aromatique à fleurs généralement roses parfois appelée marjolaine des jardins.

Lorsqu’elle retourne au village, son regard se porte sur les abreuvoirs. Ils lui rappellent les lavoirs du sud : c’est ici qu’elle interviendra. Elle les mesure, les esquisse et découvre les bassins adjacents.

Et elle ne peut toujours pas visiter l’église.

La vraie marjolaine est originaire du bassin méditerranéen oriental et cultivée en Provence depuis le Moyen Âge.

Deux semaines plus tard, elle peut enfin voir la diffraction de la lumière depuis l’intérieur de l’église. Elle prélève les couleurs des vitraux : gris bleu, vert d’eau, ocre orangé, rouge vif, rose pâle, violet… et remarque le baptistère.

Fin des repérages.

Chemin faisant, elle relie les lentilles d’eau aux abreuvoirs, elle relie les lentilles d’eau aux vitraux et fait appel à un verrier. Il soufflera cent soixante flotteurs dans une variation de tailles et de formes, et les oxydera des quelques teintes répertoriées.

Elle en dispose quelques uns dans le baptistère, où les couleurs et les matériaux interagissent dans le lieu même des prélèvements, tandis que les autres ondoient dans les sept bassins extérieurs.

Les jeux de couleurs, de reflets et de formes attirent et accueillent les insectes pollinisateurs.

La marjolaine, plante mellifère, attire également les butineurs.

Des jeux de couleurs, de reflets et de tintements se produisent grâce à la lumière, grâce au vent, grâce au mouvement perpétuel de l’eau.

Et la tourbière, sublimée, se rebiffe tout en discrétion.

Lina Jabbour