Son oeuvre à
Saint-Flour
There is no place like home
Un texte de Karen Tanguy
Les œuvres de Marc Geneix se situent dans un interstice en « marge de la vision », elles « ne se proposent pas comme immédiatement (…) à voir », elles « demandent attention et, en même temps, regard latéral, perception inattentionnée et distraite au sein de l’attention même ». Elles requièrent un temps actif dans leurs structures ; celui de la recherche et du déplacement nécessaires pour découvrir les angles de vue appropriés afin de les lire.
La phrase spéculaire en néon Tsal Omem Yr ne peut être déchiffrée que par le biais d’un miroir. Elle cristallise ce moment « où le langage s’entrecroise avec l’espace ». L’artiste travaille avec des objets ou des images qui nous sont familiers, qu’il s’agisse de meubles et de journaux. Par une intervention ou un geste, il en transforme néanmoins leur fonction. Il « aime changer
l’identité des objets » pour que ces derniers soient les vecteurs d’une histoire différente de celle qu’ils véhiculent habituellement.
Marc Geneix conçoit pour Saint-Flour une maison aveugle, sans ouverture, de forme très simplifiée. Amateur comme l’artiste de jeux sémantiques, Gordon Matta-Clark aménageait des béances sur des paliers d’appartements, induisant ainsi davantage une idée de danger plus que celle de sanctuaire. À l’inverse et par une tautologie visuelle, Geneix imagine une habitation hermétique dont les parois sont constituées de portions de porte, image d’une « séparation, d’isolement et de refuge » au sein d’une cité anciennement fortifiée.
De facto, la porte impose un cloisonnement, séparant l’espace privé de l’espace public. Le roi en son royaume procède du même élan de division et de protection. Masque fait à partir du journal Le Monde où l’artiste a aménagé deux orifices pour les yeux et disposé un élastique pour qui souhaite le porter, l’oeuvre est un bouclier préservant l’anonymat du voyeur. Dans une réciprocité des regards, nous contemplons l’oeuvre qui elle-même nous observe.
La maison de Marc Geneix est donc a priori l’image même d’un certain repli sur soi mais l’usage de la porte, motif immémorial dans l’iconographie religieuse et la littérature, n’est pas innocent. Attribut du dieu Janus, elle est un objet antagoniste qui symbolise à la fois l’ouverture et la clôture. Elle est la limite que l’on franchit et qui nous protège, mais elle constitue aussi l’endroit d’un passage, qu’il soit réel ou métaphorique.
La porte, dans ses proportions, possède par ailleurs une qualité anthropomorphique indicielle. Bien que parfaitement impénétrable, le corps est néanmoins présent par défaut au sein de cette structure dans laquelle il ne peut entrer. Il l’habite de manière mentale. « Cette dialectique simple dedans-dehors symbolisée par la porte nous invite à des échappées d’imagination ». Ces fragments de portes sont autant de débuts d’espace qui conduisent vers de multiples directions. Cette maison pourrait être le noeud d’un labyrinthe potentiel.
Karen Tanguy