Son oeuvre à
Faverolles
Les œuvres de Lidia Lelong éclosent selon un processus analogue. Au gré de ses déplacements, l’artiste observe des formes et des couleurs dans le paysage ou l’architecture, qu’elle garde en mémoire. Elle les interprète ensuite selon les souvenirs qu’elle en conserve, inéluctablement parcellaires, altérés mais aussi colorés par les atmosphères de ces moments révolus. Les couleurs, les dimensions et les fonctions sont donc libérées des formes initiales pour devenir autres…
À l’occasion de la biennale de Saint-Flour, Lidia Lelong érige à Faverolles un mirador en bois, de forme minimaliste. La tour de guet demeure dans l’imaginaire collectif une architecture à connotation militaire ou carcérale (ainsi que Foucault l’a développée par rapport au panoptique dans son ouvrage Surveiller et punir), où l’on peut voir sans être vu et exercer un certain contrôle. Ici, Miradance est davantage inspirée des cabanes utilisées par les chasseurs pour épier le gibier. Elle est pourvue d’une porte pour que le visiteur y pénètre et d’une ouverture afin de contempler ou, plus exactement, d’encadrer une portion de paysage et d’y diriger les regards. L’artiste aime les jeux de perspectives dans ses œuvres telles qu’ Une Chambre à toi, parallélépipède trapézoïdal en bois conduisant la vision, dont l’intérieur, peint en bleu d’incrustation, est rythmé par des tiges de métal ; ou encore Belvedere terra, abritant au fond de son hexagone un miroir révélant une partie d’architecture que le regardeur ne voit habituellement pas. Difficile, quand on regarde Miradance, de ne pas songer à la démarche du photographe Jean-Luc Mylayne qui, à l’égal du chasseur aux aguets, attend parfois très longtemps, voire plusieurs mois, avant de réaliser une unique image mettant en scène un oiseau, la configuration devant être idéale (composition, lumière et participation de l’animal). Cette palombière sur la place de Faverolles semble donc avoir davantage un rôle d’observatoire, un lieu dévolu à l’attente et au silence.
Mais ce serait oublier le goût de Lidia Lelong pour les décalages et son inclination à échapper à la fonction originelle de la forme première ! Les Lelichon, œuvres portatives produites en collaboration avec Jean Bonichon en 2020, en sont le parfait exemple. En effet, la tour de guet est transformée en discothèque (covid compatible) pour deux personnes avec jeux de lumière et musique composée par Alix Gosse. Il est aussi possible pour le visiteur d’y mettre sa propre musique. La lumière et le son influent inévitablement sur la perception de l’espace environnant, intérieur et extérieur. Ils concourent tous deux à préparer une ambiance, si possible agissante, affectant les comportements des visiteurs qui s’y aventurent1. Liée à un ici et un maintenant, l’ambiance nous environne et nous affecte tout en étant fluctuante. Elle forme une bulle et un abri. Miradance devient un réceptacle dédié à une expérience immersive partagée ; mais aussi une zone de résistance et un espace d’émancipation, en temps de crise sanitaire où aucun rassemblement n’est autorisé. L’univers de la discothèque, assimilé à la nuit, évoque ce temps de décharge vis-à-vis des pressions diurnes où le corps et l’esprit se libèrent avec insouciance. Elle est une boite noire sans cesse changeante favorisant les rencontres. Pour être opérante, elle est un monde en soi, coupé de l’extérieur, avec ses propres codes et rituels. Les visiteurs, par leur présence, deviennent co-acteurs de l’œuvre, qui s’accomplit avec eux. Lidia Lelong propose d’aller au-delà d’une division de la société si prégnante aujourd’hui, Miradance est un endroit où se retrouver et faire du lien, non sans humour de la part de l’artiste. Que la fête continue …
Karen Tanguy