Joachim Biehler

Vit et travaille à Paris
@joachim_biehler

Joachim Biehler

Son oeuvre à
Maurines

Joachim Biehler s’est mis sous les feux de l’intelligence artificielle… Et sous ces feux (d’artifice), couvent d’étonnantes images. Le monde brûle, on le sait, la presse d’actualité nous en offre chaque jour l’évidence. Alors son monde à lui brûle aussi. Mais de flammes apparemment si naïves, qu’elles en deviennent irréelles. Des cheminées de centrales nucléaires, sourdent de jolis nuages moutonnants, toutes nuances de gris ; la forêt crame tout autant, troncs carbone et feux follets sur l’herbe folle ; un village est envahi d’une touffeur brune, sous un soleil quasi éteint par les cendres envolées ; la campagne rougeoie elle aussi, pleine d’une grâce numérique. Une grâce qui grince : car d’où sortent ces paysages idylliquement terrifiants ? D’un logiciel créateur d’images qui a complètement digéré la notion de sublime, et avec elle toute l’histoire de l’art. C’est un tournant radical qu’a pris depuis peu Joachim Biehler : lui qui s’amusait à se créer toutes sortes d’avatars, se grimant en ses pairs du monde artistique, s’est détourné de lui-même pour frayer avec les intelligences des temps nouveaux ; « les pointer du doigt, tout en travaillant avec elles », souligne-t-il. Ainsi les exploite-t-il « pour parler du monde qui nous entoure, avec le constat amer de la répétition vertigineuse de ces images de catastrophes ». Il a testé un peu toutes les IA, il les a abreuvées de ses demandes, leur suggérant des images de presse, notamment de la catastrophe de Fukushima ou des guerres en cours. Il leur a ensuite ordonné de mimer le style du Douanier Rousseau, car « l’IA est un copiste, finalement, alors autant l’utiliser pour ce qu’elle sait faire ». Singulièrement à la marge des avant-gardes, admirées d’elles pour cette raison même, le Douanier a nourri notre imaginaire collectif de ses jungles de carton-pâte. Biehler le côtoie depuis toujours : au-dessus de son lit d’enfant, un tableau du douanier est placardé. Souvent, la nuit, il rêve qu’il se balade entre ses tigres et ses palmiers. Il entre dans le secret de la toile. C’est un peu ce rêve qu’il réalise aujourd’hui, à travers cette série nouvelle de Désastres. « Qu’aurait produit le Douanier Rousseau en ces temps de dérèglement climatique ?» s’interroge-t-il. De notre éco-anxiété, Biehler livre un portrait à priori léger, pop-innocent ; jusqu’à la lie, jusqu’à l’hallali, il lisse la triste solastalgie, cette angoisse, partagée par tous, de voir un monde disparaître sous nos pieds. Dans ses images imprimées sur toile, l’homme est absent, restent les dégâts qu’il cause.

Ces paysages faussement naïfs viennent enflammer cet été la biennale de Saint-Flour Communauté et les murs de la galerie Valérie Delaunay à Paris. Dans le petit village de Maurines, l’église accueille l’une de ces Saint-Jean planétaire. Elle y prend la forme d’une tapisserie de laine, tissage numérique réalisé à Aubusson d’après l’une de ses images digitales : « on passe du pixel au point de tapisserie ». Les herbes déjà se font flammèches, les flammes lèchent les arbres déjà morts, la fumée noire semble sortie d’un conte de Disney. Cerné du chemin de croix, le tissage prend des airs de jugement dernier. Décidément le désastre est photogénique… Tout comme ces perruches vertes qui envahissent en écho la cour de l’ancien cloître des Jacobins de Saint-Flour, aujourd’hui réhabilité en logement social. L’artiste a découpé leurs silhouettes, pour les laisser s’envoler sur les murs de pierre de lave. Là encore, elles cachent bien leur jeu : car cette espèce qui prolifère depuis peu en France n’a rien à faire dans notre écosystème. Elle s’avère néfaste, même, déséquilibrant le déjà fragile règne de la nature dans nos villes. Un jeu d’artifice…

Emmanuelle Lequeux

Lire la suite

“Disaster”

Rencontre avec l'artiste