Hervé Sornique

Vit et travaille à Châtellerault.

Comme si Velázquez avait rencontré les Dogons

Un texte de Jérôme Montchal
Au centre de la rassurante accumulation qui meuble l’atelier d’Hervé Sornique, et où les seuls objets véritablement rangés sont les outils liés à la sculpture, attendent d’imposantes et anguleuses statues de bois. Celles qui étaient dans le jardin, en bois toujours, ont, elles, disparu, dévorées par le temps, la végétation et les insectes. C’est la volonté de l’artiste : un abandon programmé de la création à la pourriture, au vol, au vide. On reconnaît là le pédagogue, l’admirateur modeste des grands, ne cherchant pas à se mettre en valeur.
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C’est comme sculpteur qu’Hervé Sornique a débuté sa carrière, mais après plusieurs années brillantes au Salon de la jeune sculpture, il a eu envie d’oublier Jean Arp ou Henry Moore, des modèles pourtant, ou la mise en œuvre des matériaux. Il se met au dessin fondamental et à la peinture, travaille autour du signe synthétisé par le préhistorien Leroi-Gourhan et de sa lecture symbolique des figurations, se base sur le pliage ou sur le tissu à fonction, étudie le renversement des angles, l’envahissement ou l’horizontalité, utilise le fil à plomb d’architecte, conçoit le support ou l’acrylique comme agglomérant : on n’est jamais loin des trois dimensions…
On cherche des références à son actuelle sculpture intense, entre cubisme, art brut et civilisations du continent noir. Sornique quand il parle de ses statues, reprises « en dilettante » selon ses mots, avec parfois de simples bûches de chauffage hors-normes, fait inlassablement référence à l’art ancien et moderne, et surtout aux arts premiers. Il lie Afrique et Japon dans des citations littéraires et plastiques qui se retrouvent clairement, comme un hommage, dans les œuvres proposées cet été en Auvergne. L’art tribal est là, dans un vocabulaire de formes où le code est omniprésent et lié à des croyances magiques très éloignées de la culture occidentale. Il retrouve la symbolique de ce langage par la symétrie, les quatre points cardinaux ou la réinterprétation des tissus traditionnels et des poupées ashanti.

Mais la sculpture abstraite, nourrie elle aussi de primitivisme, fait résurgence : le livre Arman et l’art africain traîne non loin de là dans l’atelier… Sornique pratique l’ambiguïté originelle entre passé et présent, entre ici et ailleurs, entre végétal et minéral. Il travaille le bois de sa belle triade assise avec la force des volumes harmonieux et la grande sensualité de la matière. Il fait finalement écho à ses œuvres anciennes en noyer des années 1980, voire du tout début, en 1966.
Dans la société traditionnelle africaine, confronté aux mystères de la vie, l’art s’est enraciné dans l’expression humaine, dans l’esprit de l’ancêtre. Sornique lui-même, issue d’une longue lignée d’ébénistes ou tailleurs de pierre, ayant à son tour fondé une famille d’artistes, ne l’oublie pas. Par un habile retour à sa peinture, et à l’histoire de l’art qu’il connaît bien, il sculpte une femme-colonne à fraise, comme si Velázquez avait rencontré les dogons. Grâce à une triangulation du corps humain, il retrouve le fil conducteur de son travail depuis de nombreuses années. Grâce à une expression simple et directe, il donne une vie propre et tendre à un animal comme Grenouille son propre chien, habille un cavalier du Mali comme dans une fuite en Égypte, imagine un ange sauvant un damné (comme sur la chaire de Valuéjols) en rendant tangible le sacré, ou bien encore patine trois totems comme des faux-semblants. Son travail hypnotique, presque chamanique, interroge ainsi sans arrêt la copie et l’original, et va même ironiquement, mais judicieusement, s’exposer sur des lieux de culte millénaires.
Hervé Sornique pratique le syncrétisme anarchique comme un défi, et c’est réjouissant.