GUILDE

Collectif d’artistes : Manon Simons, Tristan Dassonville, Jean-Julien Ney

Vivent et travaillent en Picardie et à Lyon.

Cheminer encore – Alleuze

Cheminer encore
Conversation entre Guilde et Marie-Anne Lanavère

Le premier projet de Guilde, pensé à trois têtes et à six mains en résidence à Alleuze, a pris la forme d’une installation évolutive intégrant du vivant. Ce processus amorce un désir de travailler autrement, sous une identité mouvante que d’autres artistes seront ponctuellement invité.e.s à rejoindre.

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Pourquoi avoir créé ce collectif artistique ?

Si je souhaite continuer à travailler individuellement, la multiplicité de points de vue me force à contrer mes habitudes, à lâcher prise. Le collectif n’est pas juste une division des tâches : c’est un creuset fait d’idées que les autres peuvent développer. Il m’aide à trouver des forces là où, tout seul, je n’y arriverais pas.
En effet le fait d’être plusieurs nous pousse à travailler au-delà de soi. La manière dont s’est construite la figure individuelle de l’artiste ne me convient pas. Aujourd’hui je réalise qu’à chaque fois que je me sentais bien, c’était dans des collaborations ! J’ai envie d’arrêter mon travail individuel pour me consacrer entièrement au collectif, faire exister d’autres modes de fabrication de l’art et
d’autres formes que l’exposition.
Je ne me suis jamais sentie à l’aise dans le fait de devoir faire face au système en y cherchant une reconnaissance individuelle. Loin d’être une contrainte, le collectif est un endroit où les individualités se complètent et s’épaulent, et non une dissolution. Il donne sens à un travail en tant que lieu de rencontres.

J’aimerais connaître votre positionnement en tant qu’artistes aujourd’hui : vous affirmez « une voie de traverse » qui ne croit ni à un passé idéal, ni à un avenir radieux.
Les grandes espérances ne peuvent pas beaucoup nous aider pour trouver des solutions aux maux présents.
Notre génération se situe dans une époque vidée des grands rêves. En même temps, le futur est incertain. Créer un collectif est une manière de chercher du sens dans notre existence. Il n’y a pas d’un côté l’artiste, de l’autre la vie, de manière schizophrène : nous voulons mettre en adéquation comment on vit et comment on fait des formes, avec des échanges constants entre les pratiques. Et une forme réalisée collectivement n’a rien à voir avec le fait de la faire individuellement.

Êtes-vous encore attaché.e.s au concept d’oeuvre, en tant qu’intention d’une forme arrêtée à un moment de son processus ?
Nous sommes surtout intéressés par l’idée qu’un processus continue, qu’il y ait des formes vivantes qui prolongent l’oeuvre, comme un fétiche boli dont la forme se prolonge par les libations qu’on doit lui faire.
À Alleuze, nous voulons que la pièce réalisée évolue avec le vivant – comme des graines qu’on a plantées et qui germent sans nous.
Une oeuvre c’est lorsqu’il se passe quelque chose dans la zone des émotions du beau, qu’elle aie été faite par une termite ou par le vent. Ce sont des objets qui rayonnent, qui explosent. Et ça existe parce qu’on est plusieurs à le percevoir.

Pour décrire votre désir de travailler autrement, vous empruntez parfois un vocabulaire à la biologie. Quelle place accordez-vous au vivant ?
Le collectif se fonde notamment sur une volonté d’utiliser des éléments liés au vivant. En début de résidence il y a eu une phase d’observation de cette multitude d’êtres, animaux et végétaux, de l’histoire du lieu, de la trajectoire du soleil etc, ce qui nous a amenés à prendre les décisions en creux plutôt qu’en verticalité. C’est un peu comme au jardin où tu expérimentes des choses qui ont leur autonomie.
Ça ne fonctionne pas toujours, parce que tu ne peux pas imposer ta pratique au vivant, ni l’utiliser comme objet. Nous devons plutôt trouver des formes de cooptation dans une nécessaire perte de contrôle et espérer que le vivant
continuera à faire sa vie !
Pour nous, la manière de faire du jardinage nourrit le travail du collectif. Nous essayons d’agir en responsabilité : quel impact auront ces matériaux dans cet environnement, ce que cela engendre. Nous aimons trouver des formes de négociations avec ce qui est déjà là. Comment négocie-t-on avec les limaces ? Comme du don contre don, tu apportes des choses à un écosystème qui t’apporte, et ça se négocie.

Dites-m’en un peu plus sur votre rapport au matériau : l’inspiration médiévale du mot Guilde et les liens que vous souhaitez établir entre art et artisanat me font penser aux conférences de William Morris, qui dénonçait à la fin du 19è siècle que la conscience du matériau s’était perdue (1). Plus récemment, David Abram oppose notre vision consumériste des matériaux à la conscience qu’en ont certains peuples indigènes ou autochtones (2). Quels usages des matériaux avez-vous et aimeriez-vous avoir ?
Les écrits de Morris m’intéressent depuis longtemps, ainsi que les formes d’art populaire et celles de l’époque médiévale où art et artisanat n’étaient pas différenciés. Les objets exposés dans un musée d’art ancien étaient des choses utiles dans la vie, à l’inverse de l’art contemporain. C’est problématique de faire des formes qui s’adressent à un public d’initiés, où il faut avoir les codes et connaître une histoire pour comprendre. Pourquoi ne pas plutôt en parler dans le village ou avec ma grand-mère ?
Dommage que pour légitimer sa pratique comme étant de l’art, il faille exposer dans un centre d’art ou un musée. L’art s’est progressivement éloigné de la vie quotidienne, mais en tant qu’artiste je ne m’interdis pas d’aller vers l’artisanat.
J’ai envie de m’inspirer d’autres champs en restant proche d’un amour du faire. Si tu fabriques toi-mêmes tes outils, ils sont plus adaptés à ta pratique. La fabrication d’outils en commun et le partage de compétences, par exemple la soudure ou le travail de la terre, donne une plus grande autonomie aux artistes.
Politiquement, travailler en collectif et avec des outils en commun est une manière de mieux comprendre le monde, de gagner en autonomie pour ne plus subir l’impuissance, et c’est se sentir plus en capacité de trouver sa place dans le monde.

(1) MORRIS, William, « L’art en ploutocratie », conférence de 1883 à l’Université d’Oxford, in L’art et l’artisanat, Payot Rivages, 2011.
(2) ABRAM, David, Comment la terre s’est tue. Pour une écologie des sens, La Découverte, 2013 : « L’art véritable (…) est simplement une création humaine qui n’étouffe pas l’élément non-humain mais permet à ce qui est Autre dans les matériaux de continuer à vivre et à respirer ».