Son oeuvre à
Saint-Flour
Mouvement symphonique n.2
En 1928, Arthur Honegger compose Rugby (Mouvement symphonique n.2). Dans ce célèbre morceau au sujet moderne, le compositeur suisse traduit avec toute l’ampleur orchestrale la fougue puissante et désordonnée d’un match, inspiré de ceux du XV de France qu’il allait voir au stade Yves du Manoir de Colombes.
C’est la retransmission télévisée d’un match de rugby qui devient, quelques décennies plus tard, le point de départ de la descendance artistique de Dominique Rouzié. Comme Honegger, elle est fascinée par le sport sur le petit écran, sa sensualité brutale, ses mêlées, ses envols, ses fléchissements. On songe à Nicolas de Staël décrivant à René Char un match de foot au Parc des Princes : « Entre ciel et terre, sur l’herbe rouge ou bleue, une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance. Quelle joie ! René, quelle joie ! »
La vision télévisuelle devient le sujet une petite gravure précieuse. L’événement, filmé de très loin et en plan fixe comme à l’époque (et en noir et blanc), ne pouvait que traduire le mouvement général du jeu. Des petites fourmis noires qui bougent, sautent, se regroupent et se séparent. Ainsi, la mêlée et le joueur solitaire qui tient le ballon (un des seuls ballons dans toute la production de l’artiste!) deviennent des petites silhouettes dans un stade simplifié qui pourrait être un paysage de Munch.
Puis le rugbyman est sorti de l’écran, il a proliféré. Représenté seul, il est néanmoins formé d’une mêlée de courbes et de coques. S’il a grandi, il a en revanche conservé son anonymat, son identité n’a aucune importance. Dans les multiples dessins, peintures, sculptures de l’artiste, la figure du joueur devient un signe, un gabarit d’où partent les ramifications de la création dans toutes les matières. Loin du culte du héro sportif superstar, les figures naviguent sans cesse entre forme unique et accumulation. Et ce joueur doit s’adapter à tout : du bronze au papier de soie, de la fonte d’aluminium à la pointe sèche. Il ne lutte jamais contre la matière dont il est fait, mais semble se soumettre aux aléas des matériaux et des désirs de l’artiste. Il est porté en triomphe dans un bronze récent, évocateur presque parodique de trophées sportifs des années 1930. Mais avant il aura vécu gravé au fond de boites de gâteaux en métal, voire, écorché tel un lapin, dans des barquettes plastiques ornées de code barres que l’artiste, avec son humour habituel, souhait exposer au rayon boucherie du Leclerc du coin…quelle joie, Minouche, quelle joie !
Daniel Clauzier