Son oeuvre à
Lastic
Position – Orientation – Mouvement
« La bonne éducation t’avait toujours ordonné de sortir de la mer avec le souci de la rendre comme elle s’était offerte à toi.
Pliant les vagues au carré, tu rangeais volontiers l’horizon blanc sous le ciel immobile, et roulais les bords des criques à angle droit, sous la lumière diaphane du printemps qui n’avait pas tardé. »
L’assise
Le paysage P est vu comme une surface lisse plongée dans l’espace usuel R2. Tu occupes une position, c’est ton point de vue dans R3. Ce que tu observes, assis, est la projection de P sur un plan R3, suivant ton point de vue.
Soit des collines, contours de courbes lisses. Plis généraux du paysage. Mais une intrigue surgit à la considération d’un dévers cassé par cent conifères. Une singularité – une fronce, un support de narration. Tu imagines alors un drap froissé : ta position devient composition. Tu comprends maintenant que tu n’es pas accueilli ici, mais que ton existence est un produit d’impulsions et de fréquences dont la communication concoure à l‘organisation des images qui avancent vers toi.
Ce que David Blasco nous propose avec cette installation, c’est un point de vue qui se retourne vers nous – une réflexion. Et nous transformons notre position de fait en position en acte. Nous entrons donc en situation dans la réalité, que les choses existent ou n’existent pas, qu’au loin nous percevions la rigide maigreur d’une tour carrée, alors que sa rotondité nous eût parut évidente si nous nous en étions approchés d’assez prêt pour apprécier sa figure originale. Nous assis là, modernes, sommes conviés par DB à abandonner la potentialité de l’espace logique pour entrer dans une actualité réelle (le monde vaut bien une volonté).
L’intérêt du paysage
Deux stèles. Sans doute quelque part. Quelques mots :
(se) répartir
(dans) l’espace
Il semble que les phénomènes installés dans le paysage ne puissent être des objets d’expérience sans que les stèles et les mots inscrits en elles soient au fondement de cette expérience attendue, comme autorisant leur fonction : l’espace est étendu autour d’elles. Cette installation permet un acte d’objectivation du réel devant, de côté et derrière elle, in-formant nos impressions pour en faire des représentations.
L’adéquation de ces quelques mots aux choses que l’on voit, que l’on sent tout autour de nous, met à l’épreuve notre usage des fictions pour pouvoir penser notre intérêt pour le paysage, le fait que nous y prenons part, que nous sommes parmi lui, qu’il nous embrasse. Ces mots nous préviennent aussi : en arrêtant notre choix pour un espace fictif au-delà des mots qu’on lit sur ces deux stèles, nous fixons derechef un étalon de mouvement pour devancer les étalons de l’espace et du temps.
DB introduit ici un mode dialectique d’horizon, et de la même manière que la première proposition, les stèles appellent une seconde réflexion. Cet horizon devient profondeur en nous, voler vers lui revient à plonger en nous. Ces deux stèles et les mots inscrits en elles orientent décidément ton intérêt. Tu changeras bientôt de place.
Lieu
Un moment est passé. Tu as dérivé et ce mouvement a acheté un langage renouvelé pour nommer les possibilités de vérité qui s’offrent à toi.
Soit un quadrillage de surface qui définit un lieu. Transposition formelle. Métaphore. Fascinant champ profond de conception du temps qui s’efface puis reparaît. La fouille ramène des reliquats de toi, de nous, de tout, aidée par la durée qui érode les aspects physiques de la limite (le monde vaut bien un souvenir).
Un moment passera, un événement aura procédé ta faculté d’imagination. Ta dérive prend fin et ce mouvement signe la maturité du temps à peine révolu. Tu dois à présent construire, ériger, bâtir, créer. Réduisant les objets bavards à des figures singulièrement plus discrètes que tu inventeras pour toi-même, DB nous invite à engager une énergie qui se mouvra dans le sein d’un système inédit, et cette énergie c’est ta pensée qui conquiert, essaime et féconde toujours de nouveaux territoires en amont, et élucide sa propre raison en aval. Tu vois, connaître, c’est ça : envoyer tes yeux à l’aventure dans l’espace sensible et perceptible, à la recherche de son fondement pensé.
Fabrice Magniez