Camille Allemand

Vit et travaille à Marseille

La Part des Anges

Camille Allemand est un artiste peintre-céramiste. À l’occasion de la Biennale d’art contemporain Chemin d’art, il a réalisé une série d’œuvres en céramique qu’il a installé dans les différentes maisons d’une partie du village de Neuvéglise. Depuis les différentes visites de l’artiste, le mystère plane toujours sur le statut de ses objets qui s’inspirent autant du quotidien du village, que de faïences du XVIIIème siècle. Voici le récit d’une enquête qui a été menée afin d’élucider ce mystère.

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À la sortie du train wagon 3, j’ai bien cru me faire rouler dans la farine. Cet endroit semblait assez idyllique tout du long de nos échanges, et je me retrouve ici nez à nez entre une route grise et un bar tabac jaune. Difficile de me situer si ce n’est avec les deux panneaux qui indiquent le parking ou le centre ville. Ap- paremment, personne ne m’attend. Pour ne pas en faire tout un fromage, je décide d’avancer à pied, sacoche en main qui attise curiosités et petits grincements pendant mon trajet. Dans le ciel se détache sur les toits en lauze et en ardoise, des histoires, racontées par les couvreurs, découpés dans le métal, les girouettes montrent sorcières, pêcheurs, chasseurs et éleveurs. La rue principale est vide. Les habitants sont pressés et ne sortent que pour une tâche en particulier. En ce moment, nous ne sommes pas censés être dehors alors ma sacoche, mon coupe-vent trop grand et ma présence dans le village inquiètent le peu de monde que je croise. Je l’ap- prends plus tard, ce jour-là entre l’heure du déjeuner et du souper, tout le monde a eu vent de mon arrivée. Ils savaient tous que j’étais là, dans une des maisons mais sans savoir laquelle exactement.

Madeleine était une femme aux airs courageux et timides à la fois. On sentait dans le souffle de sa voix, les limites que son ton pouvait prendre et une douceur naturelle qui avait l’art de rassurer n’importe qui. Elle n’était pas du genre à l’emporte-pièce. Lorsqu’elle m’a accueilli, j’étais aussi trouble qu’elle car elle semblait un petit peu nerveuse à l’idée de m’héberger. À peine nous avions fait le tour de sa maison que nous sommes passés à la chambre, ni vu ni connu, elle avait fermé la porte, avec moi à l’intérieur. J’observais les murs sur lesquels étaient accrochés des bas-reliefs sculptés dans de la pierre blanche qui représentent l’entrée dans le village, ou la sortie de l’église. Il y en avait deux et sur le mur d’en face une sorte de broc à eau dans lequel Ma- deleine, ou quelqu’un d’autre, avait mis des fleurs séchées. La table à chevet de mon lit en bois avait un tiroir tout étroit dans lequel était méticuleusement placé un livre ancien, un peu de sable et de la lavande. C’était une sorte de petite encyclopédie des fromages de la région. Le plaid lui était neuf du style peau d’ours en peluche Ikea. La lampe de chevet était en plastique rouge et le réveil assorti. Immédiatement je me suis dit que peut-être Madeleine était celle qui savait tout. La seule qui avait accepté de m’héberger, la seule qui prenait ce risque. Si elle ne savait pas, comme moi, elle voulait vraiment savoir.

Le jour de mon arrivée, j’ai noté les huit adresses où les habitants avaient déclaré des événements simi- laires. Ils étaient prévenus. Nous avions rendez-vous afin que chacun me donne sa version des faits. Mon pres- sentiment, c’est que tout cela était une sorte de coup monté par les habitants eux-mêmes. La légende urbaine avait pris, la preuve c’était arrivé jusqu’à mes oreilles. Impossible de m’empêcher de sauter dans le premier train pour venir voir ça de plus près. Quand même, c’était tellement gros que j’avais mes doutes et pour y voir plus clair, être sur place était la seule solution.

La part des anges de Camille Allemand par Chloé Bonnie More