Son oeuvre à
Saint-Flour
Pastel flags
Un texte de Antoine Marchand
« Depuis une quinzaine d’années désormais, Anne Brégeaut s’évertue à représenter la complexité des rapports humains, des codes qui régissent les relations entre individus au sein de notre société. Toutefois, loin d’une approche psychanalytique, cartésienne ou scientifiquement prouvée, l’artiste a opté pour une « méthode » bien plus personnelle, qui relève plutôt de la mise en scène et en images de situations incongrues, voire absurdes, comme pour mieux révéler nos failles et blessures intimes. Quel que soit le médium dont elle s’empare – sculpture, peinture, installation, voire les trois à la fois –, Anne Brégeaut élabore ainsi de minuscules récits à l’esthétique résolument lo-fi, des amorces de narration où s’entrechoquent fiction et réalité, personnel et universel, profane et sacré… »
Il est d’ailleurs frappant de constater que c’est dans la dualité, la confrontation, que se construisent nombre de ses oeuvres, un modus operandi qui parvient à faire vaciller nos certitudes et nous rend plus vulnérables, plus à même de pénétrer son travail. Sa proposition pour la Biennale de Saint-Flour poursuit cette démarche aussi radicale que pertinente, tout en la déployant à une échelle plus conséquente. L’artiste a en e et installé dans la ville une série de drapeaux – qui se substituent le temps de la Biennale aux habituels étendards fièrement dressés sur les mâts – sur lesquels sont inscrits des énoncés tour
à tour mystérieux, poétiques ou nostalgiques. Déclinaison des « Apparitions » qu’elle a réalisées en 2011 – des phrases souvent intimistes inscrites en réserve d’un nuage rose, semblant flotter dans l’espace blanc de la feuille –, ces drapeaux interpellent le spectateur, ou plus exactement le promeneur, amené à découvrir à mesure de sa déambulation des formulations censées relever de la sphère privée, et ici exposées au vu et au su de tous.
Avec ces bulles « en suspens », au propre comme au figuré, l’artiste cherche à instaurer un échange par une adresse directe, ceci afin de créer une relation particulière à l’autre dans un espace où règnent habituellement l’anonymat et la solitude. Nombre de ces messages semblent se référer à une époque passée, révolue, qui fait notamment écho ux troubles et incertitudes adolescentes : « Au bord du rêve », « En attendant je t’attends », « Nos souvenirs », « Bye bye baby », « Nos amours inventés », autant de phrases qui résonnent comme des titres de films ou de chansons, convoquent des souvenirs personnels et interrogent nos fêlures, nos fantasmes et notre rapport à autrui. La présence quasi-fantomatique et la naïveté formelle – le dégradé coloré évoque par exemple le ciel au moment du coucher – de ces drapeaux ne font que renforcer l’impression de fragilité et de doute qui en émane. Cette facture singulière confère d’ailleurs à l’ensemble une aura bien particulière, quasiment mystique.
L’air de rien, Anne Brégeaut parvient une nouvelle fois, avec cette subtile intervention aux atours légers et ludiques, à toucher à l’intime, au plus profond de notre psyché.
Antoine Marchand
Mai 2014