Julien Perrier

Vit et travaille à Angers.
Diplômé de l’École supérieur d’art d’Angers

Julien Perrier

Son oeuvre à
Anterrieux

Aigle Coq – Anterrieux

Julien Perrier aime les grands espaces. Il y a quinze ans, en 2007, à la tête d’un collectif d’artistes, il avait pris d’assaut la citadelle de Belle-Île-en-Mer. Cette année, il s’est emparé du château d’Angers et de la célèbre tenture médiévale de l’Apocalypse, emportant bestiaire et décor dans une farandole explosive où la terre et l’émail se combinent. Tout l’été, à présent, il investit Anterrieux et son
territoire. Le nom du lieu est ancien, puissant et chargé.

« Entre deux eaux », ce village à l’histoire singulière et combattante avait vocation à enchanter, c’est-à-dire littéralement à soumettre à un charme, le sculpteur frondeur, également fondeur, dont une tour parée de blanc et d’or, volant peut-être entre Maine et Truyère, a atterri dans la cour du musée d’art et d’histoire Alfred Douët, à Saint-Flour.
Il y a, comme cela, des déplacements inédits et des accidents heureux. Anterrieux, dans l’histoire, a connu sa part de drame. Le 20 juin 1944, pendant plus de dix heures, des combats y ont fait rage entre résistants, d’un côté, et occupants, de l’autre, servis par une puissance de feu supérieure, appuyée par l’aviation. Le village a été incendié et une centaine de maquisards sont morts aux
côtés d’une quinzaine d’Allemands et d’une dizaine de civils. Julien Perrier sait cette tragédie. Il en a recueilli la mémoire au musée de la Résistance et alentour, a lu, a écouté ce qu’on lui en a dit sur place et il en a fait sa matière, transfigurant l’affrontement armé. Pour un artiste, disposer (d’)un lieu est toujours un défi. « Créer, écrivait Gilles Deleuze, ce n’est pas communiquer, c’est résister » et, en conséquence, aborder des lieux puissants, a fortiori celui-ci, c’est prendre position, s’implanter et faire face, avec âme, force et résolution, à l’histoire et à qui aujourd’hui regarde.
Modelés dans l’argile et revêtus d’un émail paré de morse qui, tout à la fois, les désigne et les destine, aigle et coq s’affrontent dans l’espace investi par Julien Perrier. Avec respect et ferveur, en contrepoint et, souvent, en contrebas du sentier des maquisards, l’artiste a créé un itinéraire dans le paysage. La rencontre entre les deux oiseaux déborde du village. Au carrefour de la route de Chaudes-Aigues à Saint-Juéry pour Anterrieux, elle commence au pignon d’une masure abandonnée, où aigle et coq ont posé leur nid. Ils s’ignorent et sans doute se sont-ils pris de bec avant de s’envoler puisqu’on les retrouve face à face, dressés sur des mâts et armés pour le combat, dans un pré en lisière du bourg. Le coq l’emporte et met en fuite le rapace. Un peu plus loin, les deux oiseaux fusent à travers les frênes et, déjà, ils fusionnent, s’imprégnant du corps de l’autre jusqu’à se mélanger dans ce grand
fauteuil établi dans le paysage en arrière de la dernière maison du village.
On sait trop ce qui émane des combats, ici et ailleurs, la désolation qu’ils créent, parfois durablement. Julien Perrier, dans son oeuvre, s’est souvent confronté aux luttes, en modelant joutes, tournois et batailles. Il l’a fait avec un esprit poétique et burlesque, teinté de grinçant. Ici, à Anterrieux, il s’est fondu dans les habits d’un maquisard et – comme tel – il nous invite à l’espoir. Il revient
en effet au spectateur, pour finir, de s’emparer du fauteuil, de s’installer où s’opère la réconciliation, où advient l’aigle-coq, non pour oublier de quelconque manière, mais pour se saisir du paysage et de la vie. L’aigle s’est fait coq avec ses barbillons, le coq aigle avec un bec de rapace et des serres. Rien n’échappe, chez Julien Perrier, au déplacement. L’artiste déporte les choses, décale le regard, voire le trouble. Où est désormais le résistant en Aubrac ? Est-il celui qui crée ?
Assurément, mais n’est-ce pas aussi un peu nous, qui admirons son oeuvre en ces lieux singuliers dont il a pris un soin tout particulier ? Merci, l’artiste, de nous rappeler à ce devoir de vie, d’engagement et de dépassement !

Philippe Josserand (auteur et historien – Nantes Université)

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“Aigle Coq”