Son oeuvre à
Saint-Flour
« Sumbolon » ou le puzzle de l’artiste
Un texte de Laetitia Chauvin
« À Saint-Flour, l’artiste Laurent Perbos assemble ce que Florus, l’évêque et créateur de la ville, séparait de sa main pour permettre son passage : la roche. Chacun, à leur manière, reconfigure la ville pour son propre usage, usant de stratagèmes pour faire naître la légende. Mais la comparaison s’arrête là, l’artiste n’ayant rien à prêcher ni personne à convertir.
Les sculptures que Laurent Perbos a imaginées pour Saint-Flour renvoient en écho le paysage minéral de la Haute-Auvergne. Appréhendés autant pour leurs qualités matérielles que pour leur sens, ces rochers extraits d’une carrière locale et sélectionnés au hasard valent pour tous les rochers. Ils constituent les pivots centraux des oeuvres, autour desquels les autres signes se distribuent. »
Les pierres ont toujours joué un rôle fort dans l’imaginaire de l’homme. On les dit dotés de propriétés magiques, contenant des esprits et à l’origine de nombreuses légendes. Un monde onirique s’introduit subtilement par l’entremise des rochers : quelle mer glaciaire a pu charrier de tels rochers jusque dans la ville ? Quel esprit s’est figé dans ces pierres ? Des récits se mettent en place.
Les sculptures produites pour Saint-Flour poursuivent la série des oeuvres figurant des objets naturels – arbres, feu – sculptés en matériaux ostensiblement artificiels. Ici l’artificialité de l’objet est rendue par la combinatoire, qui fait oeuvre.
Laurent Perbos est un prosélyte des rapprochements contre-nature : il force la « nature-artiste » et introduit des cas particuliers dans les hasards aveugles et mécaniques de la biologie. Les oeuvres prennent la forme « d’inventions conjuguées » par la mise en relation de plusieurs éléments antagonistes. Des interférences entre formes naturelles et formes culturelles sont provoquées et redoublent leur rivalité. Le regardeur est confronté à un objet a priori bien défini qui, à un moment, s’éloigne de ses buts et transgresse sa nature.
Par un savant jeu d’équilibre entre colorimétrie et volume, tension et torsion, les matériaux se confrontent. L’étai tirant-poussant, habituellement utilisé pour soutenir un mur qui menace de s’écrouler ou lors de travaux, est ici employé comme trait d’union, instituant un rapport entre deux rochers et rendant visible un lien immatériel. Ailleurs, l’étai suspend un massif végétal en terrasse, allusion fabulée aux jardins suspendus de Babylone.
Ces e ets combinatoires produisent des décalages de sens et de fonctions et mettent en branle un jeu d’associations d’idées. Par leur force d’existence et d’évidence, ces assemblages prennent le sens de « sumbolon », soit des objets incomplets qui ne prennent leur signification qu’une fois au contact les uns des autres, comme dans un puzzle où les pièces sont assemblées pour faire image.
Des oeuvres de Laurent Perbos surgissent des « sumbolon » inattendus, qui révèlent in fine des liens de réciprocité entre éléments. Un symbole est créé en même temps qu’un nouveau sens est révélé. Mais l’artiste n’en livre pas la clé : l’initiation revient au spectateur, à l’aune de son imaginaire et de ses désirs.
Laetitia Chauvin
Mai 2014